Il est des personnes anonymes qui ne nous manquent qu’au son de leur histoire… et en pâle reflet de vie sans formes et d’imparfait, elle nous effleure de son existence mythique. Et sans vie, et sans aucun sens, élue de mes pensées, Elle, ma muse, lice comme la brise et triste comme la pluie, ce brin de présence, cette sobre prestance, mystique et nourrissant les pensées les plus folles, arpentant nos frissons, elle est ce petit rien amusant, apeuré, effrayant, mi visible, mise en fuite, mise en conte, Elle, une ombre parmi les autres… Fraîche, pour toujours, d’un trait matinal, en soubresauts de vie, elle frétille à l’aube, d’une douceur infinie occultée en esquisse trompeuse et malmenée par l’obscurité… Tantôt grande, voire très petite, tantôt très grande, voire toute petite, elle naît discrète d’un rituel et se meurt tout aussi discrète par ce même rituel.
Aujourd’hui se lève, quelque peu agacé par habitude et lassitude, et peine à naître la douce, Elle, inspirée du mutisme, lentement, en communion parfaite avec cette femme bien peu attentionnée. Habituée aux mimes qu’elle effectue intime, elle est si peu, perdue dans un monde de paraître, et s’exécute à la perfection en mouvements de femme, enchaînée en peine de toujours, épousant des formes, épousant une vie, en intruse maladive…
Elle aurait tant aimé l’entendre ce petit mot doux adressé, destiné à l’encenser, ou encore une simple caresse à la rassurer de son sort, et pourquoi pas se perdre en princesse assoupie dans les bras de ce tendre et valeureux prince qui la fixait sans cesse en poster ébahi, et quel sourire… quelle beau sourire ! Quel doux rêve ! Elle aurait tant aimer sortir de cette tristesse forteresse, loin, très loin de cette détresse, enchanteresse… Et pourtant, elle rêve toujours et encore ficelée en maître à cette tâche indélicate, à cette image de si peu, à ce filet sans âme essaimant les parages, cherchant toujours et encore à se faire entendre, à rompre ce sortilège, ce manège, à lutter pour être, mais s’échoue constamment dans la masse… une masse d’inconnues à formes multiples, une image… une masse étouffant constamment l’espoir en équation insolvable, irrésolue, éternelle…
Et depuis toujours, chérissant un vœux qu’elle accrochait en étoile chaque soir, en pion bien placé, en échec au destin, épinglant son devenir à chaque comète à être propulsée loin de ce bagne en esclave affranchie, elle naissait, mourait, renaissait, encore et encore, vivant, lassée, au rythme du destin imposé par le hasard.… Elle rêvassait souvent, dans son errance perpétuelle, à accomplir un miracle… concrétiser son rêve… s’émanciper… vivre libre… partir… une quête personnelle en espoir de tout un peuple d’invisible… sortir de l’ombre et paraître à jamais… un combat d’esclave…
Et aujourd’hui s’était levé en quotidien bien banal, un jour sans, avec cet élan de lassitude qui, quasi habituel, tentait toujours un peu plus de la porter en force loin de ses fers. Et c’est agacée et animée de vie qu’elle allait inscrire une lettre au chapitre de l’Histoire.
Elle se débattit féroce et pleine de haine, le vent en poupe dans le dos en inspiration, un combat acharné contre elle même avec pour seule issue la vie où les éléments se ventaient en chœurs à offrir l’horizon à ce bras tendu vers l’inconnu… A grande peine, grande surprise, l’amarre se desserra, se rompit et se fracassa dans un silence d’or, aussi soudainement que son destin. Elle se détacha avec souplesse et dignité, put se mouvoir hors de ce moule, son moule, sa vie, sa demeure, et s’épancher enfin dans cet autre univers qu’elle côtoyait discrète et enviait sans cesse… Le cordon ombilical fut rompu. Un bris d’hasard fit perdre un esclave à son maître, un maître à son esclave… La porte se referma sur elle d’un côté, lui de l’autre… Elle vit son passé fuir à toute vitesse et son futur se dresser en choix imminents… Elle quittait sa galère, et gagna de nouvelles terres en brin d’air courant le long couloir glauque et animé en vie, puis entrevit la sortie, le bout du tunnel… une porte blanche… un long couloir qu’elle arpentait depuis tant de temps déjà, et une porte qu’elle allait franchir ouvrant sur ce quotidien d’une distance si familière… Une page se tourna, et ce fut tel un grand plongeon, un frisson horrifiant, une fierté inaltérable, un rêve abouti…
Désormais elle était libre, libre comme la brise, courant partout sans but, écumant terres et mers en conquérant sans quête. L’éternelle prison devint pré d’espoir… Libre comme l’air, heureuse et fière, papillonnant sans fin, elle se dorait au soleil en se jouant des règles, stupéfiée par la vie qui s’animait sauvage et dont elle faisait désormais ombre intégrante. Elle bravait l’inconnu, s’imposant en silence. Elle marchait sans retenue, se trémoussant de sa chance, comme une enfant au jour de sa puberté, touts ses rêves en salive, l’innocence en prime…
Sans visage et, sans voix, sans sens, elle caressait les passants d’une tendresse imperceptible, trahissant un manque certain de reconnaissance… Elle se contentait fort simple de goûter du regard tous les mets infinis qui s’étalaient éparses… le plaisir le plus simple, le plaisir des yeux… Elle s’imaginait les goûts et s’imprégnait d’odeurs, elle mâchait en silence et sentait à outrance… Elle valsait dans l’ambiance et s’exprimait en air d’une mélodies sans fin qui couvrait l’espace…
Quelle ne fut pas sa surprise en apercevant son visage emprunté en reflet de vitre à une passante plutôt aigrie par la vie… le sourire aux lèvres, d’une laideur affirmée, qu’elle trouva extrêmement beau, empreinte d’innocence, un premier regard point encore corrompu. Elle s’observa quelques seconde d’éternité, puis tendrement amusée, abusée aussi, elle reprit ses cavalcades, s’imaginant que vivre était un cadeau. Elle avait ce visage d’ange, et tous les passants se retournaient… Arpentant fantomatique les pavés, planant de vitrines en vitrines, flânant dans ce monde (toujours un peu seule), elle se prélassait sans fin de se bonheur arraché, et en toute bonne mélodie, s’accordait aux rumeurs…
Elle est libre et tellement belle, sans artifices, et sa forme est sa beauté et son essence. On l’apercevait ici et là, voguant de plaisir sur un parterre de lumière, vibrant et valsant sur des airs connus de tous, se jouant de ses pairs tel cet ami de longue date enchaîné à son maître, chantant sa liberté en symphonies d’humeur, en hymne à la vie, clamant haut et fort les bienfaits de sa vie… Elle put d’ailleurs lui offrir ce baiser si interminablement espéré, rêvé depuis toujours, longtemps étouffée par un veto sans suite opposé en maître… un baiser lourd de sens… plaintif à son égard, compatissant et plein de larmes… L’étreinte fut brève et intense, instantanée et subtile.
Elle se figea même en photo, en invitée surprise, en ombre discrète perdue, avant de se traîner sur la plage, sentant l’air marin et le sable s’écoulait sous ses pas. Ses formes dorées par milliers en couchers de soleil esquissaient un sourire malicieux et rêveur… elles erraient fines et belles… sveltes et peaux… Elles se profilaient tel un horizon et couraient de plages en plages sonnant en passant les derniers instants de jour… Les rayons de soleil affamés, captivés et fatigués les dévoraient braisées, panées par ce sable chaudement foulé de toute part en ces journées d’été plein battant… Ils épousaient magistraux ces formes infinies qui justifiaient ce voyage quotidien au travers des astres comme des bras tentaculaires solaires, caressant leur proie et faisant naître une chaleur inqualifiable et quantifiable dans les yeux océan de cette forme enveloppée de mystère, se perdant adultère sur les dunes essoufflées d’un pays toujours rêvé…
Ce corps modelé en fée, parfait se laissait planer en ombre profilée mannequin sur un tapis de sable qui se déroulait charmeur, ouvrant un ballet mi jour mi nuit, de crabes mouettes et dauphins, clamant haut et fort discrètement bravo !
Bravo ! BravO ! BraVO! BrAVO! BRAVO !
Et de ce tintamarre improvisé s’élevait aussitôt une brise portée par des soupirs venus d’ailleurs, professant un message en spirale, susurré en vers libre par delà l’infini… la joie de vivre qui se lisait à s’en contenter sur ses paupières mi closes… Et sa danse cabalistique ne s’arrêta que très tard en soirée par nuit d’été, lorsque les rêves prenaient le dessus et que les pensées fuyaient ininterrompues au-delà des limites de la perception… Son corps attendri par cet air marin enivrant peignait à s’y méprendre un monde de rêve que seul un peintre mué par le géni se pouvait de penser… Ses bras long, ses jambes longues, ses cheveux long, son long corps, battaient d’une valse méditée la mesure de ce rêve, offrant offrande offerte ce moment impérieux aux yeux ébahis de ces messieurs d’ombre, curieux désireux fiévreux.
Pourtant aussi observateurs qu’ils se disaient être dans leur poésie primitive, tout leur échappait… Sans mots ne dire, sans rien ne laisser transparaître, elle accomplissait sereine son plaisir de vivre, son rêve de toujours, le leur aussi… et la nature ne pouvait que s’en réjouir, et donc l’applaudir…
La journée s’écoulait pourtant en clepsydre du bonheur. L’insouciance égraine le temps… Les secondes se comptent en grains de sables. Tout va à sa fin… Le soleil va à sa fin… Le soir estival veille… et Elle dans son insouciance se laissait bercer par ce plaisir vivifiant… Il faisait depuis très longtemps froid partout dans les airs, mais très chaud au soleil… Souvent le temps s’oubliait d’impatience, souvent des larmes de pluie s’exprimaient à outrance… Il est des jours où toutes les pensées du monde ne valent pas celles d’une personne… C’est une pensée qui vole, et s’évade d’un cadre trop clos et intime, rendant sensible tout ce qui s’y frotte. C’est le dernier souffle, l’espoir…
Ce matin là l’aube était divine. La lune avait créé sa résonance en ce soleil s’esquissant, diapason éternel d’un horizon lointain et délice du regard. Et là, le soleil résonnait en lune… La vie résonnait en silence, le silence de l’aube, frais, inconnu de milles destinées pour milles destinations…
Un silence rougeâtre grignoté de bleu nuit, souriant, ballonné par la brise envoûtée. Un silence parcourant le monde marquant le passage douloureux de l’éveil au sommeil. Et elle, elle était là, assise, exquise, belle et sensuelle, encore d’une fraîcheur matinale, si marginale, à contempler discrète l’infinie tendresse de l’aurore du soir… Caressant les vagues pensées qui roulaient en rivage d’un regard si pur et affiné, elle peignait soigneusement une lettre de ses pupilles humides, heureuses et d’une brillance extrême en reflet océan, océan de pensées éparses, multiples et éternelles… Une lettre d’au revoir pour ne pas dire adieu, sans mot, sans son… en brins d’herbe, en larmes… en pensées. Le testament de rêve…
Touts ces mots dans un silence réconfortant qui fusait longs vals et monts à perdre l’horizon. La douceur du silence brûlait ses lèvres médusées du mystère de l’existence, caressait son cœur aligné silence du monde, ne battant plus que pour dire adieu…
Des brins de blé entrelacés en pamphlets et accoudés à ses lèvres se ventaient d’un délicieux plaisir qui s’inscrivait dans l’air en senteurs d’outre monde, s’inspirant des milles et unes épices, des mille et uns parfums et des milles et unes essences que contait le monde… Flirtant d’odeurs en odeurs, de trêves en rêves, elle s’inspirait et inspirait… Il est fou d’imaginer les mouettes, goélands, dauphins et quelques autres colons pleurant en chœur par si belle soirée, oubliant leurs chants, « symphonisant » ce silence en complaisance d’errance…
Une vague arriva de très loin, plus loin qu’on ne le pense, lui caressa les pieds et la prit dans ses bras en messagère éphémère… Et le silence se fit, profond, réconfortant, pressant et infini, et en couverture de sa vie, se retira magistrale, emportant sans bruit l’âme sereine par delà l’océan de larmes qui s’écoulait sur le passé… Une vague nuit venait d’avaler une histoire… La soirée s’ombra de sombre, en désert nocturne, en paradis d’ombre, par delà les étoiles. Cette nuit était peut-être sa dernière… Et ce conte de fée s’acheva au son du soleil…
A en croire certaines rumeurs, les ombres deviennent poussière, poussières d’étoiles… autant d’étoiles que l’on ne peut pas nommer, fidèles et pleines de rêves…