Dans les rêves de Johanne
En cette soirée de septembre, Johanne se sent bien seule…
Depuis trois jour elle a rejoint le pensionna et loin de sa famille elle s’apprête à commencer une nouvelle année scolaire.
Elle profite encore des quelques moments de liberté que lui accordent les surveillants pour flâner dans le parc bordé de grands châtaigniers avant l’appel du soir.
Un vent léger bruisse dans les feuilles qui de temps à autres se décrochent et viennent virevoltant se déposer sur le gazon tondu avec soin.
Elle traîne les pieds en regardant la pointe bleu marine de se souliers vernis.
Elle évite toutes fois de les laisser se couvrir de poussière car elle redoute de devoir les cirer pour qu’avec sa jupe bleue plissée et son chemisier blanc, caché sous son pull aussi bleu que le reste de son uniforme d’écolière, elle ne soie assez présentable pour l’inspection du matin.
Trois coups de sifflet viennent déchirer le silence qui jusqu’alors n’était perturbé que par les discutions châtiées des enfants.
Monsieur Edouard, surveillant en chef, se tenait droit comme un « I » sur les marches du parvis du bâtiment des internes.
Comme tout ici ce bâtiment était strict quand à son architecture, et le gris de ses pierres se mariait à merveille avec le regard vide d’émotion du surveillant.
« En rang par deux et dans le silence le plus total mesdemoiselles, » avait lancé de sa voix nasillarde Monsieur Edouard.
Alors les yeux rivés au sol, les fillettes prenaient le chemin des dortoirs.
Sur le grand escalier de marbre, on entendait que le seul glissement des semelles qui d’un pas lent mais rythmé emmenait les élèves vers leurs alcôves.
Et arrivées à l’étage, une à une les fillettes prenaient place devant le rideau qui délimitait le couloir de leur espace personnel.
Encore un coup de sifflet et toute rentrèrent tirant derrière elle le rideau.
Devant son petit lavabo de faïence, Johanne ôta ses vêtements qu’elle disposa soigneusement sur le valet qui prendrait soin de leur aspect durant la nuit. Puis elle fit sa toilette et passa sa lourde robe de nuit de lin blanche.
Enfin elle se coucha dans un soupir de profond désespoir.
« Extinction des feux dans cinq minutes ! » Tonna la voix de Monsieur Edouard.
Johanne ferma les yeux et se mit à parler intérieurement avec son ange. Cet être imaginaire à qui elle avait confié tous ses chagrins et toutes ses peurs, était le seul allié sur lequel elle puisse compter dans cet univers fait d’ordre de règles.
Elle l’avait appelé gavroche comme le petit garçon des misérables de Victor Hugo, c’était, comme elle le disait, sa seule rébellion à la droiture que lui imposaient les dictateurs.
Gavroche savait tout d’elle, il savait se faire discret et quand elle lui demandait conseil, il ne tarissait pas d’idées pour lui rendre la vie plus facile. Il lui prenait même quelquefois, la folie de lui jouer des pièces de théâtre dans lequel il tenait tous les rôles ; tantôt habillé de jupes et de dentelles, tantôt dans un uniforme de saint syrien qui fouettant l’air de son sabre venait la délivrer de la tour dans laquelle elle était séquestrée.
Mais cette première nuit de septembre était tellement triste, que Johanne lui fit une demande particulière.
« Gavroche, tu es mon ami de toujours, mais je voudrais cette fois ci que tu ailles chercher pour moi quelqu’un qui pourrait m’emmener loin de ce monde, loin de cette vie et pour de vrai. »
Puis Johanne baissa le paupières, se blotti dans sa grosse couverture de laine et s’endormit.
A son réveil, elle fut surprise de ne pas entendre le coup de sifflet de Monsieur Edouard.
Pourtant la lumière du jour filtrait déjà dessous le rideau de son alcôve, son cœur se mit à battre plus vite… Que se passait-il ? Elle quitta son lit d’un bond et fut surprise de ne pas sentir la piqûre de froid qui aurait du la faire frissonner.
Elle tâtonna, pour au bord du miroir atteindre l’interrupteur de la petite ampoule au clair de laquelle elle devrait faire sa toilette, et là, les yeux encore cernés, sur le valet, elle aperçu à la place de son uniforme, une magnifique robe d’un rose tendre.
Elle se frotta les yeux pour être sûre de ne plus rêver, mais non, elle ne rêvait pas.
Que s’était-il passé durant son sommeil ? Qui était venu lui prendre son uniforme pour le remplacer par une robe ? Etait-elle victime d’une farce des ses amies de dortoir ?
Tout se bousculait dans sa tête quand une voix douce venue de derrière le rideau la fit sursauter.
« Mademoiselle Johanne ! A quelle heure désirez vous votre petit-déjeuner ? »
« Pardon ! » répondit-elle… « Mais qui êtes-vous et où suis-je et que se passe-t-il ici ? »
« Je m’appelle Virgile, et je suis votre majordome ! » « Quelle heure est-il ? » Avait demandé Johanne ne sachant que dire.
« Il est presque huit heure mademoiselle ! »
Johanne se toiletta à la hâte et enfila sa robe. Elle ne se doutait pas qu’elle n’était qu’au début de ses surprises.
Timidement, avec appréhension, elle fit glisser le rideau qui la séparait du couloir.
Là où elle s’attendait à apercevoir le couloir sombre, s’étendait une allée bercée d’une lumière douce, et ornée de fleurs fraîchement cueillies placées dans des vases de cristal, eux-mêmes déposés sur des socles de marbre rose.
Le vieux parquet ciré avait cédé la place à un tapis d’herbe tendre, et les fenêtre grillagées avaient été remplacées par de toiles représentant des scène printanières où des dames vêtues de robes couleur ciel, prenaient le thé assises autour d’une table blanche garnie d’une nappe de dentelle.
A la place du plafond, s’étendait en arcs assemblés, une verrière sur la charpente de laquelle grimpaient des vignes aux grains de raisin appétissants, qui laissaient filtrer les premiers rayons du soleil.
Un rossignol vint se poser sur son épaule et lui siffla une douce sérénade, puis il se posa sur le rebord du premier vase l’invitant de son gazouillement à la suivre.
Johanne n’était pas certaine d’être éveillée ! Serait-ce dans un de ces rêves si réalistes, qu’elle était en train d’évoluer ?
Elle décida de suivre le rossignol et de voir ce qui se passerait par la suite.
Au bas de l’escalier, Virgile l’attendait dans son habit queue de pie noir, laissant entrevoir la dentelle blanche de sa chemise ceinturée d’une culotte bouffante qui s’arrêtait aux mollets découvrant ses bas blancs qui finissaient dans ses souliers vernis.
« Mademoiselle veut-elle se donner la peine de me suivre vers la grande salle ? »
Johanne le suivit et vit, assis à l’autre bout de la grande table d’acajou, un magnifique jeune homme aux allures de prince charmant.
« Bonjour Johanne ! Je suis Jean-Luc*(1) et Gavroche m’a fait part de ton souhait. »
« Heu !!! Bonjour Jean-luc ! Est-tu réel où est-tu le fruit de mon imagination ? » Demanda-t-elle.
« Je suis aussi réel que tu peux le voir ! »
Alors Jean-luc lui expliqua comment de son état de prestidigitateur de cirque, il avait fini par devenir un véritable magicien et pourquoi il avait du se retirer dans un monde connu des seuls anges.
« Te voilà dans un monde où je peux réaliser le moindre de tes souhaits ! C’était bien là ton désir ? »
« Oui Jean-Luc, mais qu’est devenu le pensionna et toutes mes amies ? »
« Pour elles, rien n’a changé, elle sont toujours là-bas et elles ne risquent pas de remarquer ton absence, car nous leur avons effacé tout souvenir de toi. »
« Mais mes parents, et ma famille ! Eux aussi m’ont oublié ? »
« Oui ! Pour tous ceux de ton ancienne vie, tu n’existes plus ! » Avait dit le magicien en lui faisant un clin d’œil.
Johanne ne pu retenir une larme en pensant à tous ceux quelle aimait et qu’elle ne reverrait jamais.
Le magicien vint la consoler en la prenant dans ses bras.
« Allons fillette ne pleure pas ! Je peux réaliser le moindre de tes souhaits, ne l’oublie pas ! Mais nous verrons ça plus tard, maintenant prend place à la table et régales-toi. »
Rassurée, Johanne pris place et dévora de belles dents les mets plus délicats et raffinés que Virgile avait disposés à son attention. Elle s’était vite consolée, de savoir qu’elle pouvait à sa guise faire réaliser tous ces désirs sans aucune mesure et elle avait bien l’intention d’en profiter.
Elle passa ainsi sa journée, à faire des choses plus extraordinaires les unes que les autres.
D’une promenade en chevaux ailés, elle s’en alla tourner sur mes manèges d’une gigantesque fête foraine, puis elle passa à une exploration des fond marins, s’émerveillant de tout ce qu’elle put voir.
Quand vint le soir, alors qu’elle était assise au coin de l’âtre où crépitaient de belles bûches de chêne, elle demanda à Jean-luc un dernier voeux.
« S’il te plait Jean-luc, J’aimerais rentrer chez moi mais dans une vie où la liberté, l’amour et le respect seraient possible et où il n’y aurait plus d’uniforme, ni de coup de sifflet. J’aimerais apprendre à l’école, mais avec des professeurs gentils, et plus de règles qui m’empêchent de m’exprimer … est-ce possible ? »
« Mais oui Johanne ! Pour moi rien n’est impossible. »
Johanne remonta le grand escalier, marcha sur le tapis d’herbe tendre, rejoignit son alcôve et en tira le rideau. Elle ôta pour la première et la dernière fois sa robe rose, et se coucha.
Avant de fermer les yeux, elle remercia gavroche pour cette formidable journée et s’endormit.
« Johanne ! Johanne ! Allez grosse marmotte lève-toi ! Il est plus de dix heures ! »
Johanne s’étendit et ouvrit les yeux. Autour d’elle l’alcôve avait cédé place à une charmante chambre d’enfants aux murs tapissés d’un joli papier peint au motif amusants.
« J’arrive maman ! Je descends tout de suite. »
Elle passa une robe de chambre sur son pyjama bleu ciel, enfila ses grosses pantoufles en forme de lapins, et descendit l’escalier pour aller rejoindre le reste de sa famille qui s’était attablée au jardin.
« Et alors ma chérie, tes vacances commencent fort dirait-on ! Si je ne t’avais pas réveillée tu aurais sans doutes dormi toute la matinée » lui dit sa mère en l’embrassant.
« Dis maman ! Est-ce toi et papa avez l’intention de me mettre en pension à la prochaine rentrée ? »
« Mais bien sûr que non mon ange ! Pourquoi me demandes-tu ça ? »
« Pour rien maman, pour rien ! »
Et Johanne prit une profonde inspiration, porta à ses lèvres son bol de chocolat fumant et quand elle en eu but une gorgée, elle le déposa et dit…
« Ah ! Si vous saviez comme vous m’avez manqué ! »
Et toute la famille se regarda interloquée.
Stéphane Borrell.
(*1) Voir un cœur de magicien.
©Stéphane Borrell Sabam 2006