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 Les Amants Terribles

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AuteurMessage
melouw
Invité




Les Amants Terribles Empty
MessageSujet: Les Amants Terribles   Les Amants Terribles EmptyLun 13 Nov - 16:50

Les Amants Terribles




Je suis passée vous voir sans penser vous trouver là
Au hasard de mes pas
Je suis arrivée jusqu’à vous sans oser m’approcher,
Je vous ai regardé
Dormir, sans paix.
Les oiseaux se sont tus, je retenais mon souffle, mes prières.
Pourquoi ont-ils fait cela ? Est-ce vous, les autres ? Cette révolte. Cette colère.
Alentour j’entendais les saluts,
La joie de certains et l’ennui aussi, les chahuts.
Chacun chez soi,
Seul ou en famille depuis des siècles, des années, quelques mois.
Il y avait des fleurs mais pas pour tout le monde,
Des visites, quelqu’un agenouillé, un autre qui se pressait,
Le silence à la ronde
Un arrosoir plein d’eau
Quelques photos.
Je m’expliquais les vies, ce qu’elles avaient pu être,
Peut-être
J’en complimentais deux - trois qui avaient vécu longtemps
Qui avaient souffert plus que d’autres
Forcément.
Je les ai appelé, hep vous autres !
Savez-vous ce qui se passe chez nous en ce moment ?
Voyez-vous toutes ces guerres inutiles,
Ces victimes inutiles,
Vous tous sous vos monuments.
Des listes de noms, sans causes
Tous les âges, tous, de toute façon alors pourquoi précipiter les choses ?
Les alignements
Sous le soleil éclatant
Sous les ombrages des arbres, ce silence apaisant
J’aime parler dans cet endroit, plaisanter
Et j’espère un rire, un sourire,
J’aime marcher
Et vous lire
A travers quelques dates, quelques plaques laissées
Là pour la mémoire, pour la gloire, à perpétuité.
Il y a des chapelles et un trou commun
Pour ceux dont on ne sait rien.
Je suis arrivée jusqu’à vous et j’ai imaginé l’horreur
La peur
Ma peur m’empêchait d’avancer plus loin.
Je n’ai pas osé passer
Devant vous l’air de rien
La pierre était fêlée.
Je me promenais innocente et j’ai levé le regard, baissé la voix.
J’ai senti qu’il ne fallait pas.
Il y avait une tête de marbre, éclatée.
Il y avait une statue, balayée.
Il y avait le toit qui s’écroulait et le granit déchiré.
Cette tombe était en larmes,
En drame
J’ai vu vos yeux menaçants qui m’interdisaient un mot, un pas de plus,
J’ai entendu votre rage, je me suis tue
Le sol se serait ouvert si j’avais osé
Vous braver.
J’ai entendu : n’avance pas !
Ne viens pas.
Ta gueule.
J’ai entendu : qu’est ce que tu fais là !
Tu ne comprends pas
Toi non plus.
Pour qui te prends tu
A nous imaginer comme ça
Tu ne connais rien de nous, tu ne sais pas,
N’avance pas.
J’ai vu la ferraille plantée dans vos cœurs, vos visages fous et vos lèvres crevées,
Vos ossements séparés.
L’un à côté de l’autre, dans deux cercueils, séparés.
Une petite fille courait dans les allées,
N’y va pas !
N’approche pas,
Ils ne veulent pas.
Ils sont debout,
Devant nous
N’approche pas.
Ils nous tiennent en respect au bout de leurs lances,
Ils font la guerre depuis qu’ils sont enterrés là,
Comme ça.
Ils me parlent, je recule, ils s’avancent.
Va t-en toi, petite fille, plus loin,
Va dire bonjour aux enfants le long du chemin,
Montre leur ce qu’est la vie à sept ans,
Ce que c’est d’être vivant
A cet âge, certains ne savent pas.
Moi je reste là.
Je fais face
Même si la peur m’enlace,
Même si je pleure
De terreur.
Je comprends. Ils me disent, tu vois, notre amour n’était pas possible,
Impossible
Personne n’a voulu,
Nous n’avons pas pu,
Nous l’avons fait quand même.
Tu vois ce qui arrive
Lorsque l’on se croit libre
Que l’on fait ce qu’on veut
Qu’on s’aime
Alors qu’on ne doit pas. Qu’on joue avec le feu.
Ils nous ont mis ensemble, ils n’ont pas pu faire autrement.
Nous l’avions dit,
Nous l’avions écrit,
On les a obligé.
Nos corps enlacés quand ils nous ont retrouvé.
Ils le savaient pourtant.
Et toi
Puisque tu es là,
Encore, puisque tu nous écoute
Crier de l’au-delà
Ecoute.
Nous avons gratté la pierre à main nue
Pour pouvoir nous toucher.
Nous avons soulevé l’alcôve avec nos pieds
Nous avons hurlé
Pour réveiller les autres, qu’ils sortent la nuit pour nous aider
Personne n’a pu.
Ils ont scellé nos sarcophages, d’acier,
A l’un et à l’autre et cette barrière
Tu vois est plantée
Dans la terre
Elle est en fer rouillé
Jusqu’à 10 mètres au moins de profondeur et nos cœurs saignent depuis 90 années.
Nous ne pouvons plus nous embrasser.
Tu vois ce qu’ils ont fait ?
On voulait être ensemble pour l’éternité,
Ils nous ont séparé.
Alors avance maintenant et dis nous
Dis nous
Que tu regrettes cette inhumanité.
Comprends que nous ne cesserons jamais de crier
Pour que l’on sache, que personne ne recommence jamais.
Approche toi de la tombe,
De nos tombes
Et sculpte dans la pierre
Grave jusqu’à la terre
Creuse dans nos âmes, dans nos plaies :
Malgré vous,
Malgré tout,
Ces deux là s’aiment à tout jamais.




Muriel Roland
Belleville, dimanche 4 juin 2006, 15h30

http://www.murielroland.com
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